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Disparition d'une cité

Comment vous parler de la cité de Sibourg ? Quelques années plus tôt, il eut été aisé de la décrire... Une citée fière de sa réussite, immeubles flambant neufs pointant fièrement leurs sommets vers le ciel, grandes places où aimaient s'assembler les gens afin de faire étalage de leurs richesses, ... Oui, c'était vraiment une belle cité...
Mais maintenant... Les fiers immeubles de naguère, s'ils gardent leur hauteur ont perdu de leur superbe : les vitres se sont ternies, se sont fissurées, sont tombées, .... Et les places ? Les jolies places ombragées ? La nature y a repris ses droits, les racines soulèvent les dalles par endroit, la mousse couvre les colonnes, ....
Qui pourrait seulement imaginer la splendeur de cette ville il y a seulement cinq ans ? Car c'est bien ces cinq petits années qui ont réussi à venir à bout de l'orgueilleuse cité.

Revenons pour cela quelques cinq années en arrière. J'étais bien jeune et bien naïf à l'époque, peut-être est-ce à cela que je dois mon salut. Mon père occupait un poste important dans le conseil de la ville. Il était craint et respecté. Moi, je vivais ma vie, profitant de ses richesse et de son influence. Personne n'osait rejeter mes caprices, le monde semblait m'appartenir.
Bien sûr, parfois, les obligations du pouvoir me ramenaient à une dure réalité. Dure ? Non, pas vraiment quand je regarde l'étendue du désastre actuel, mais pour un enfant de 10 ans, qu'y a-t-il de plus dur que de devoir cesser ses interminables journées de jeux pour suivre des cours sur la finance, l'administration, la politique, ... ?
Et il y avait les fêtes, les nombreuses fêtes, où tout les gens, soucieux de s'attirer les bonnes grâces de mon père nous conviaient.
Ô quelle était belle la vie d'alors !

Et puis il y eut ce premier incident, anodin, tout juste un entrefilet dans les journaux, à peine apparu déjà oublié. J'ai moi même peine à m'en souvenir, pourtant je l'ai vu de mes propres yeux.
C'était par une belle journée d'automne. Je sortais d'une assommante présentation sur les installations sanitaires de la ville et n'avais qu'une hâte : profiter des derniers rayons du soleil. Je courrais donc dans le pré derrière chez moi pour me rendre à la villa d'un de mes amis.
Et soudain, je les vis. Ils étaient là, toute une famille, le père, la mère et cette petite fille, chétive, pâle, aux yeux emplis de terreur. A leur tenue, je vis qu'ils n'étaient pas originaires de notre cité. Ils respiraient la misère et la crasse et mon premier geste fut un mouvement de recul !
Mais ce devait être la première fois que j'avais l'occasion de voir de près des gens du peuple et une irrésistible curiosité me poussait à en savoir d'avantage.

- Bonjour, vous n'êtes pas d'ici, n'est-ce pas ? D'où venez-vous ?

Les deux adultes ne bougèrent pas, aucune réaction. La fille par contre me dévora des yeux. Je voulu continuer mes questions mais elle me posa un doigt sur les lèvres et me chuchota ;

- Chut, tu ne dois pas parler, sinon IL va revenir.

Qui allait revenir ? Pourquoi ses parents ne bougeaient-ils pas ?
Voulant comprendre, je saisis le père par la manche et ....
Et je n’eus pas même le temps d'ouvrir la bouche, à ma sollicitation, il tomba en poussière... là, sous mes yeux... il y avait eu un homme et maintenant un petit tas que le vent s'empressait de faire disparaître....
La suite ? Je ne le sais plus trop... Je crois que je me suis enfui un criant.... courant de toutes mes forces, vite, encore plus vite, jusqu'à en perdre le souffle, jusqu'à me coller à un arbre et crier aussi fort que je le pouvais !!!!

Je ne sais combien de temps je restai là, à essayer de comprendre, ou d'oublier.... Des heures sans doute car ce fut l'un des serviteurs de ma mère, inquiète, qui me trouva au plus profond des bois et me tira de ma torpeur.
Je n'osai bien sûr pas raconter la scène à laquelle j'avais assisté, connaissant par avance la réaction de mes parents, un bon calmant, interdiction de lire des livres pendant quinze jours, ... Autant laisser faire le temps et enfouir cette ... chose ... au fond de mon esprit.

Le lendemain, je me jetai tout de même sur les journaux dans l'espoir de savoir ce qu'il était advenu de la mère et de la fillette. Juste quelques mots.

Découverte d'une fillette abandonnée à l'entrée de la ville. La police recherche activement ses parents. Toute information serait précieuse pour la remettre à son pays d'origine.

Non seulement je n'appris rien de ce qui m'intéressait mais il était clair que mes compatriotes avaient hâte de se débarrasser de cette preuve tangente que la misère existait en dehors de nos murs et que nous étions une patrie privilégiée qui se refusait égoïstement à aider nos voisins....

Je passai la matinée enfermé dans ma chambre, passant d'une livre à l'autre, allant à la fenêtre, revenant sur mon lit, ... Rien ne pouvait me distraire de l'évènement d'hier.
Je décidai alors d'aller voir la seule personne qui pouvait me donner un début d'explication, me dire qui était ce IL capable de réduire à néant un être de chair et de sang.

L'amour que me portaient mes parents avait ceci de pratique que je pouvais faire à peu près tout ce que je voulais sans qu'il ne me demande la moindre explication. Même ma "disparition" d'hier dans les bois n'avait pas eu d'autre conséquence qu'un câlin plus long que de coutume, témoignant de l'inquiétude que je leur avais causée.
Aller au palais de justice interroger une fillette en haillon en instance d'expulsion n'était donc pas un caprice qu'ils pouvaient me refuser. Bien sûr, ils tiquèrent certes un peu quand je leur demandai l'autorisation écrite dont j'avais besoin pour entrer dans le bâtiment mais me la donnèrent sans protester.
Arrivé devant le palais, je fus frappé par l'étrange calme qui semblait y régner. Pas de gardien à l'entrée, pas de va et viens dans la cours.... Plus j'avançais et plus je sentais une sourde angoisse me gagner.
Je errais sans but réel ne sachant où trouver cette fille, ne croisant personne pour me renseigner. Au détour d'un couloir, j'entrevis tout de même une ombre derrière une porte. Je m'approchai avec précaution, redoutant ce que je allais découvrir.... Le redoutais-je vraiment ? Je ne puis l'affirmer. Quelque chose au fond de moi me disait d'ores et déjà qu'il y avait derrière cette porte un homme figé qui tomberait en poussière dès que j'essayerais d'entrer. Je ne savais d'où venait cette prémonition mais elle m'effrayait !
Bien sûr, dès que je poussai la porte, je vis une pluie poussières se répandre sur le parquet. Je n'eus même pas le plaisir de savoir qui cela avait été.

Était-il utile de continuer mon parcours ? Il y avait bien sûr le risque de subir le même sort que ces pauvres gens (car je ne doutais plus que le reste du personnel du centre avait lui aussi connu le même sort que les cendres qui couvraient mes chaussures). Pourtant, je sentais que cette chose, ce IL ne me ferait aucun mal. Et puis il y avait cette fille, cette gamine, qui détenait la clef de l'énigme et que je voulais retrouver. Car elle était vivante, ça aussi je le savais.
Un instant indécis, je me laisser envahir par ce silence qui me rappelait combien cet endroit avait été animé. Le silence ? Non, pas vraiment... Je tendais l'oreille et perçu un léger bruit de pas, léger, si léger qu'il se serait perdu au milieu des agitations habituelles de ce lieu. Le bruit se rapprochait... et je ne doutais bien sur pas que ce fut cette fillette qui venait à moi. Cette tranquille certitude m'inquiétait presque plus que les évènements auxquels j'avais jusqu'alors assistés, car déjà je crois que je ressentais la perte de ma cité, de ma famille, de mes amis.... Pourtant à ce moment, malgré toutes ces images funestes, je ne pensais qu'au devenir de cet enfant, à peine plus jeune que moi dont le regard ne cessait de me poursuivre.
Quand elle apparu, je la laissai s'approcher de moi. Sans un mot elle prit ma main. Elle tremblait, légèrement certes, mais je sentais la tension qui l'habitait. Je ne prononçais pas non plus la moindre parole et nous sortîmes ensemble, laissant derrière nous un palais vide de vie.

Dehors, la vie semblait normale, les gens vaquaient à leurs occupations habituelles : les enfants couraient sur la place, les adultes devisaient de politique ou de finance, ... Personne n'étaient encore gagné par la panique qui ne manquerait pas de surgir ce soir, quand aucune famille ne verrait revenir ses membres travaillant au palais...
Pour l'heure, je m'empressais de ramener chez moi ma nouvelle amie. Amie ? Nous étions déjà bien plus que cela. L'horreur rapproche les êtres et pour rien au monde je n'aurais lâché cette petite main qui me tenait si fort.
Arrivé chez moi, il fallut bien expliquer la chose à mes parents. Je leur bredouillai quelques phrases, des explications hâtivement construites sur le chemin du retour. Alors ils consentirent à la regarder, mais la regarder vraiment. Voir son visage apeuré, ses yeux implorants, je crois que ce fut son regard, bien plus que mes paroles qui acheva de les persuader de lui accorder un asile.
D'elle ils ne purent rien obtenir à part son nom : Elyia...

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